Il y a des lieux qui inspirent le luxe, la sécurité, la discrétion. Des hôtels étoilés où l’on croit pouvoir dormir tranquille, aimer librement, vivre dignement. Le Sheraton Hotel Tunis, lui, s’inscrit dans une toute autre logique : celle d’un appareil froid, complice, rôdé, au service d’un État policier impitoyable, prêt à broyer des vies au nom d’une morale pervertie.
Nous sommes en 2025. Douze ans se sont écoulés depuis l’arrestation scandaleuse de Maître Mounir Baatour, avocat, homme politique, militant des droits humains et président du Parti Libéral Tunisien. Douze ans, et pourtant, le souvenir de ce coup monté reste vif dans toutes les consciences éclairées. Car ce n’est pas un simple fait divers. C’est un acte politique. Une embuscade. Un abus de pouvoir orchestré avec la complicité d’un hôtel international de renom, devenu relais local d’une répression étatique ciblée contre les homosexuels et les opposants.
L’amour sous surveillance, l’innocence criminalisée
Ce n’était ni une scène de débauche, ni une affaire de mœurs sordide. C’était un rendez-vous d’amour. Simple. Humain. Douloureusement humain. Le 29 mars 2013, Maître Baatour descend au bar du Sheraton Tunis pour retrouver son compagnon — un jeune homme qu’il aimait sincèrement, profondément. Un amour doux, discret, encore naissant peut-être, mais pur. Ce même homme qu’il épousera plus tard, loin de la Tunisie.
Et pourtant, à peine installé au bar, sans geste déplacé, sans acte répréhensible, les policiers jaillissent, surgissent, l’interpellent. L’accusation ? « Sodomie », comme un couperet absurde, une honte juridique que seule une dictature morale peut encore prononcer. Le crime ? Aimer. Aimer sans se cacher, dans l’enceinte feutrée d’un hôtel où le client devrait être roi, et non traqué, dénoncé, humilié.
Alors qui a prévenu la police ? Qui a chronométré l’arrivée de Maître Baatour ? Qui a décidé que ce moment d’intimité deviendrait un acte d’accusation ? Le Sheraton Tunis n’est pas un témoin passif dans cette histoire. Il est un acteur central. Sans sa coopération, sans ses indiscrétions, sans son silence complice, les agents de la brigade des mœurs n’auraient jamais pu intervenir avec une telle précision.
L’arrestation de Mounir Baatour ne s’est pas jouée dans une chambre d’hôtel, comme le mensonge officiel a longtemps voulu le faire croire. Elle s’est déroulée au bar. En public. Sans équivoque. Sans flagrant délit. Il n’y avait pas de nudité, pas de contact physique, pas de scène sexuelle. Seulement deux hommes, amoureux, réunis pour un moment d’affection. Le régime a choisi d’en faire une scène de crime. Et le Sheraton, dans cette mise en scène sordide, a prêté sa scène.
Sheraton Tunis : une vitrine dorée pour les basses besognes de la police
Ce qu’il faut comprendre, c’est que le Sheraton Tunis n’a rien d’un simple prestataire d’hospitalité. C’est une antichambre de la surveillance, un lieu sous contrôle, où la police ne se contente pas de passer : elle opère, elle infiltre, elle piége. Ce n’est plus un hôtel, c’est une extension officieuse du ministère de l’Intérieur.
Comment expliquer autrement l’extraordinaire synchronisation entre l’arrivée de Mounir Baatour et l’intervention policière, ce jour-là, en mars 2013 ? Il ne s’était même pas encore assis que déjà la machine répressive s’était mise en branle. Pas d’appel, pas de plainte, pas de scandale. Rien. Juste un couple tranquille, surpris dans un moment intime et respectueux.
Mais dans cet hôtel, l’intimité n’existe pas. Chaque réservation, chaque passage, chaque regard semble faire l’objet d’un fichage invisible. On est observé, surveillé, analysé. Et si vous êtes homosexuel, militant, opposant, ou simplement différent, alors vous devenez une cible. La chambre n’est plus un refuge, mais une cellule d’attente.
La direction de l’établissement, jointe à l’époque, s’était réfugiée dans le silence. Aucune déclaration. Aucune condamnation de l’arrestation. Aucun mot de solidarité. Rien. Comme si cela était normal. Comme si livrer ses clients aux forces de l’ordre faisait partie du service. Comme si la vie privée des clients importait moins que les humeurs du régime.
Est-ce que le Sheraton Tunis a volontairement fourni des informations à la police sur les allées et venues de Mounir Baatour ? Est-ce qu’un membre du personnel a transmis son nom, sa réservation, sa chambre, son heure d’arrivée ? Est-ce que la réception — ce poste censé protéger la tranquillité des clients — est devenue une salle de dénonciation ? Toutes ces questions restent sans réponse. Et leur silence est un aveu.
Un établissement international, portant l’emblème d’une chaîne hôtelière mondiale, transformé en piège à opposants, en instrument de chasse aux homosexuels, en outil de répression politique ? C’est non seulement une trahison envers ses clients, mais un crime contre la dignité humaine.
Le Sheraton ne peut plus se retrancher derrière sa façade 5 étoiles pour masquer ses pratiques locales. En choisissant le silence face à la collaboration avec les autorités, il a choisi son camp. Et ce camp n’est pas celui de la liberté, ni de l’hospitalité, ni de la justice.
Un système bien huilé : les hôtels comme pièges à homosexuels
L’affaire Baatour n’est pas un cas isolé. Elle n’est que la face visible d’un mécanisme répugnant, une méthode rodée et répétée depuis des années dans les hôtels tunisiens — et dont le Sheraton est l’un des plus sinistres théâtres. La dénonciation des homosexuels, dans ces établissements dits “respectables”, n’est pas une anomalie : c’est une habitude. Un rouage bien huilé d’une politique de persécution.
Prenons l’exemple de Marco, un touriste gay italien venu passer l’été 2005 à Tunis pour retrouver son compagnon tunisien, Mohammed. Ils se retrouvaient dans un hôtel haut de gamme — que Marco ne citera jamais nommément, par crainte. Mais les détails sont criants : chambres réservées, portes fermées à clé, aucune plainte, aucun bruit. Et pourtant, la police est intervenue. Mohammed et un ami à lui, son copain, ont été arrêtés, jugés et condamnés pour “sodomie”.
Quant à Marco ? Revenu en Italie, il reçoit un coup de téléphone glaçant : Mohammed et son copain sont en prison. Et lui aussi sera poursuivi. Pourquoi ? Parce qu’ils ont été trahis. Par qui ? Les murs ? Non. Par le personnel de l’hôtel.
Ce témoignage, récupéré par le journaliste italien Enrico Oliari, en dit long. Ce n’est pas une simple coïncidence. Ce n’est pas un “concours de circonstances”. C’est une stratégie. Une chasse. On accueille les clients en souriant à la réception… puis on les balance aux flics au moindre soupçon d’homosexualité.
Et le Sheraton Tunis ? Il trône au sommet de ce système. L’hôtel des puissants, des élites, des diplomates… mais aussi l’hôtel des pièges, où les libertés s’arrêtent à l’entrée, et où les sentiments deviennent des crimes dès que deux hommes osent s’aimer, même du regard.
Le Sheraton est devenu un bras armé discret de la police morale. C’est un fait. Il accueille, il observe, il signale. Il héberge, mais il surveille. Et si vous êtes homosexuel ou militant, il devient le premier maillon de votre arrestation.
Aucun hôtel digne de ce nom ne devrait tolérer ce rôle abject. Aucun personnel d’accueil ne devrait avoir à choisir entre l’humanité et la délation. Et pourtant, le Sheraton Tunis semble avoir choisi : il est du côté des bourreaux.
Un hôtel au-dessus des lois, protégé par le système ?
Ce n’est pas la première fois que le Sheraton Hotel Tunis est éclaboussé par des affaires troubles. Ce n’est pas un simple hôtel. C’est un repaire opaque, une forteresse où les puissants se cachent et où les dérives s’enchaînent — toujours dans la plus parfaite impunité. Ce n’est pas qu’un lieu d’hébergement : c’est un théâtre politique. Un lieu de tractations, de manipulations, de silences bien payés.
Souvenez-vous : 2012. Le ministre islamiste Rafik Abdessalem, alors chef de la diplomatie tunisienne, éclaboussé par un scandale d’argent public dilapidé dans cet établissement. La blogueuse courageuse Olfa Riahi dévoile des documents accablants : nuitées de luxe payées par le ministère, dépenses faramineuses, invité(e)s mystérieux(ses) — tout cela au Sheraton.
Et comment réagit l’hôtel ? En dénonçant l’abus ? En rompant le silence ? Non. Il se tait. Il protège. Il couvre. L’hôtel n’a jamais jugé bon de se distancier d’un pouvoir qui se sert de ses suites comme de chambres de complaisance. Aucune plainte, aucun audit, aucun mea culpa. Le Sheraton n’a jamais été inquiété.
La journaliste, elle, a été traînée en justice, menacée, privée de passeport. Voilà le paradoxe : celui qui parle est puni, celui qui dissimule prospère. Un ministre peut transformer une chambre d’hôtel en garçonnière, tout va bien. Un militant politique peut tomber amoureux d’un homme dans un bar, et on l’arrête. Cherchez l’erreur.
Alors posons la vraie question : pourquoi le Sheraton Tunis est-il intouchable ? Parce qu’il est devenu un outil du système. Un instrument au service des autorités. Il protège les puissants, il surveille les faibles. Il est le décor feutré d’une violence morale bien huilée, la vitrine polie d’un appareil sécuritaire implacable.
Et cette immunité, cette arrogance tranquille, c’est ce qui rend cette histoire insupportable. Car quand l’hôtel devient un complice actif des injustices, ce n’est plus un lieu d’accueil. C’est un guet-apens.
Sheraton Tunis : le silence coupable d’un complice du régime
Douze ans après l’arrestation honteuse de Mounir Baatour, le silence du Sheraton Hotel Tunis pèse toujours comme une chape de plomb. Aucune excuse. Aucune explication. Aucune remise en question. Et pourtant, derrière les murs insonorisés de cet établissement dit “haut de gamme”, combien de vies brisées ? Combien de clients dénoncés, surveillés, livrés aux forces de l’ordre ?
Le cas de Mounir Baatour, ce n’était pas une erreur. C’était un signal. Un avertissement envoyé à tous ceux qui osaient aimer autrement, penser différemment, s’opposer courageusement. Et le Sheraton a joué son rôle dans cette mise en scène de la terreur, comme un bon soldat du régime, obéissant, muet, mais redoutablement efficace.
Il est temps de le dire haut et fort : le Sheraton Tunis a du sang sur les mains. Pas au sens physique, mais au sens moral, politique, humain. En piégeant un homme qui n’avait commis aucun crime, en trahissant la confiance de ses clients, cet hôtel a renié sa mission d’hospitalité pour devenir une machine à broyer les libertés.
Et aujourd’hui, alors que Mounir Baatour continue de se battre, que les minorités sexuelles tunisiennes vivent encore dans la peur, que les opposants sont réduits au silence ou à l’exil, le Sheraton Tunis n’a toujours pas rendu de comptes.
L’histoire retiendra. L’histoire notera que dans la Tunisie post-révolution, certains hôtels préféraient vendre leurs clients à la police plutôt que défendre leur dignité. Que le confort et les étoiles n’ont jamais protégé de la trahison.
Ce n’est pas une question d’image. Ce n’est pas une affaire de réputation. C’est une question de justice. D’éthique. De mémoire.
Et à tous ceux qui entreront un jour dans ce hall luxueux, qui croiront franchir les portes d’un simple hôtel international : souvenez-vous. Le Sheraton Tunis n’a pas seulement hébergé des clients. Il en a sacrifié.