Affaire Mounir Baatour : entre justice et persécution des convictions
Mots-clés : liberté de conscience, athéisme, Tunisie, blasphème, droits humains, Mounir Baatour
C’est le cri d’un citoyen abandonné par son propre pays, renié pour ses idées, condamné pour avoir osé penser autrement.
Comment peut-on continuer à parler de droits humains, de liberté d’expression, de justice, quand une personne est pourchassée,
humiliée, jugée, non pas pour des actes criminels, mais pour des mots, des convictions, pour une pensée dissidente ?
Ce n’est pas un procès contre un homme, c’est un procès contre la liberté de conscience.
Ce que vous allez lire, ce n’est pas une plainte, c’est une plaie ouverte dans le tissu déjà fragile de notre société.
Une société qui oublie parfois que la véritable force réside dans la capacité à protéger ses minorités,
même – et surtout – quand elles dérangent.
Les accusations formulées par le Pôle judiciaire de lutte antiterroriste
Les accusations formulées par le Pôle judiciaire de lutte antiterroriste
- Accusation d’apostasie ou en faire appel, ou inciter à la haine, à l’animosité entre les races, les doctrines et les religions ou en faire l’apologie.
- Appeler directement, par voie de presse ou par tous autres moyens de publication audiovisuels ou électroniques, à la haine entre les races, les religions, ou les populations et ce par l’incitation à la discrimination et l’utilisation de moyens hostiles, de la violence, ou de la propagande pour des idées fondées sur la discrimination raciale en rapport avec l’infraction terroriste et ce conformément aux articles 1, 13 (nouveau), 14 et 40 de la loi organique n° 2015-26 du 7 août 2015, relative à la lutte contre le terrorisme et à la répression du blanchiment d’argent ainsi qu’aux articles 50 et 52 du décret-loi n° 2011-115 du 2 novembre 2011, relatif à la liberté de la presse, l’imprimerie et l’édition et aux articles 3 et 9 de la loi organique n° 2018-50 du 23 octobre 2018, relative à l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale.
Mounir Baatour a publié sur sa page Facebook un post dans lequel il insulte le Prophète, incite à la haine et à l’hostilité entre les religions et le sacré… En réaction à cette publication, l’avocat Wissam Othman a déposé une plainte sur le même sujet auprès du ministère public près la Cour d’appel de Tunis. Le ministère public a ordonné l’ouverture d’une enquête.
L’enquête a considéré que les messages portaient sur un contenu électronique comportant une invitation directe à la haine entre les religions à travers la diffamation et le dénigrement du sacré.
Les accusations formulées par le Procureur de la République
L’absence de preuves relatives à l’exécution d’un projet individuel ou collectif tel que mentionné dans l’article 13 de la loi n° 2015-26 et ce en rapport avec le contenu publié sur internet. Dès lors, l’infraction d’accusation d’apostasie ou en faire appel, ou inciter à la haine, à l’animosité entre les races, les doctrines et les religions ou en faire l’apologie est classée sans suite.
Les actes établis à l’égard du défendeur sont constitutifs de l’infraction prévue aux
articles 50 et 52 du décret-loi n° 115 de 2011 relatif à la liberté de la presse, de l’impression et de l’édition :
Article 50 : « Sont punis comme complices dans ce qui peut être qualifié de délit aux sens de l’article 51 et suivants du présent décret-loi, ceux qui incitent directement une ou plusieurs personnes à commettre ce dont il s’agit, de ce qui peut être suivi d’un acte, soit par voie de discours, paroles ou menaces dans les lieux publics, soit au moyen d’imprimés, photos, sculptures, signes ou toute autre forme écrite ou photographique exposée à la vente ou à la vue publique dans les lieux publics ou les réunions publiques, soit au moyen d’affiches et d’annonces exposées à la vue publique ou par tout autre moyen d’information audiovisuelle ou électronique. »
Article 52 : « Est puni de l’emprisonnement d’un an à trois ans et d’une amende de mille à deux mille dinars quiconque appelle directement, en utilisant l’un des moyens indiqués à l’article 50 du présent décret-loi, à la haine entre les races, les religions, ou les populations, et ce par l’incitation à la discrimination et l’utilisation de moyens hostiles, de la violence ou de la propagande pour des idées fondées sur la discrimination raciale. »
Le jugement du tribunal de première instance de Tunis
Le tribunal de première instance de Tunis a prononcé par contumace une peine d’emprisonnement d’un an, une amende de 1000 dinars et le renvoi sous la surveillance administrative pendant deux ans.
Affaire numéro 1110/23330/2020 du 11 octobre 2021.
Exprimer des idées non-religieuses et athées : Une infraction sans victime
En droit tunisien, l’infraction liée à l’athéisme, à l’apostasie ou à la diffamation des religions n’existe pas. Quel que soit le texte de loi sur la base duquel les athées et les agnostiques sont condamnés, il s’agit d’une violation du principe de légalité des délits et des peines. Dans de nombreux cas, dont l’affaire objet de ce commentaire, les personnes qui expriment des opinions athées ou agnostiques sont condamnées à des peines d’emprisonnement.
La question qui se pose dans ce contexte est de savoir si le juge applique le droit positif ou le droit islamique ? Car, la suprématie de la loi n’inclut pas la loi islamique… Le juge représente-t-il tous les Tunisiens ou est-il un juge qui impose ses croyances et convictions religieuses islamiques dans ses décisions judiciaires ? Le litige entre les deux parties est-il résolu sur la base des croyances du juge ?
Il semble que le juge dans cette affaire n’est pas impartial. Il a penché en faveur de la religion majoritaire et a protégé les croyants au détriment des athées. En appliquant les articles 50 et 52 dudit décret-loi, le juge a été en contradiction avec les objectifs du texte et la philosophie libérale du législateur.
L’un des objectifs de ce décret-loi est de garantir la liberté d’expression conformément à la Constitution et aux traités internationaux. Pour rappel, le droit international des droits de l’homme protège les idées athées et agnostiques et ne les considère pas comme un crime, mais comme l’expression des convictions, de la conscience et de la pensée d’un individu [6].
En avril 2011, le Conseil des droits de l’Homme a abandonné le concept de « diffamation des religions » et adopté la Résolution 16/18 sur la lutte contre l’intolérance, les stéréotypes négatifs, la stigmatisation, la discrimination, l’incitation à la violence et la violence visant certaines personnes en raison de leur religion ou de leur conviction [7].
L’expression d’idées non religieuses et athées fait de l’accusé une victime
Mounir Baatour a exprimé son opinion sur le Prophète de l’Islam sur sa page Facebook. Exprimer une opinion est une liberté garantie par la Constitution et les traités internationaux ratifiés par la Tunisie. En effet, cette opinion constitue également l’exercice de la liberté de conscience, c’est-à-dire l’expression des convictions non religieuses qu’il adopte en tant que citoyen tunisien.
Or, l’avocat qui a déposé la plainte a décidé de confisquer les convictions de Mounir Baatour, comme si les convictions de l’avocat étaient plus importantes et supérieures parce qu’il fait partie des croyants de la religion majoritaire. Ainsi, l’expression des idées athées ou agnostiques se transforme en un procès public des idées des athées.
Ceci rappelle une affaire dans laquelle un citoyen tunisien a dévoilé sur un réseau social son opinion concernant l’Islam et remettait en question l’existence de Dieu, de la religion musulmane ainsi que du prophète de l’Islam. La police l’a arrêté au motif d’avoir porté atteinte aux bonnes mœurs [10].
Dans cette affaire, le juge joue un rôle de juge des mœurs. Il semble protéger les mœurs et préceptes religieux dominants dans la société tunisienne, affirmant que les bonnes mœurs représentent « un ensemble de règles morales, usages, coutumes, et préceptes religieux dominants dans la société auxquels aucune dérogation n’est permise » [8].
Or, le droit international, notamment l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, garantit la liberté de conscience, y compris pour les athées et agnostiques [9].
Menaces, fatwas et appels à la violence contre Mounir Baatour
En effet, alors qu’il se trouvait en Tunisie, Mounir Baatour a été victime d’accusation d’apostasie (takfir) et sera l’objet de cinq fatwas, parmi les plus sévères, appelant à son meurtre sans pardon possible.
Plusieurs personnes l’ont menacé de mort comme le cheikh Khamis al-Majri sur son Facebook et d’autres cheikhs qui ont appelé à sa mort conformément à la jurisprudence de juristes islamiques tels que le cheikh Mohammed al-Hantati et le défunt Hassan al-Ghadhbani.
« Il n’y a pas de désaccord sur le fait que quiconque insulte le Prophète, le blasphème ou le diffame de quelque manière que ce soit doit être tué et n’a pas le droit de se repentir, qu’il soit musulman, apostat ou dhimmi. »
« Le juge Yadh a affirmé que quiconque insulte le Prophète, le blâme ou lui attribue un défaut en lui-même, dans sa lignée, sa religion ou l’une de ses qualités, ou l’assimile à quelque chose en l’insultant, en le calomniant, en le rabaissant, est un calomniateur et la règle veut que le calomniateur soit tué. »
Contrairement au blasphème se rapportant à Dieu : si une personne insulte Dieu et se repent, le repentir sincère peut être pardonné par Dieu. Mais si elle insulte le Prophète et se repent, son repentir ne sera pas accepté et le meurtre ne sera pas aboli.
Il convient de rappeler que l’appel au meurtre et l’accusation d’apostasie (takfir) font partie des infractions terroristes prévues à l’article 14 (huitièmement) de la loi organique n° 2015-26 du 7 août 2015 relative à la lutte contre le terrorisme [11].
Un mandat d’arrêt a été émis le 5 novembre 2019, un mandat de recherche le 2 février 2025, et un second mandat d’arrêt a été lancé sur la base de l’accord d’extradition entre les pays de la Ligue arabe du 14 septembre 1952 [12].
Conclusion : Entre théocratie implicite et liberté de conscience
Ainsi, le fait d’affirmer que « l’Islam est une religion de violence, qui détruit l’Homme et réduit les gens à des esclaves » est considéré comme un acte « pas seulement contraire au Coran et un blasphème, mais aussi une non-conformité à la Constitution du pays et de ses lois puisque la religion de l’État est l’Islam. L’État n’est ni laïc ni athée, il ne reconnaît que l’Islam en tant que religion, d’où l’atteinte à cette religion représente une atteinte à l’État et à ses fondements ».
Ce raisonnement reflète un refus manifeste de la protection des minorités religieuses et non religieuses, ainsi qu’un rejet des droits fondamentaux d’expression et de pensée. Le Coran, bien qu’il soit sacré pour la majorité, n’est pas la Constitution ; il ne peut servir de fondement juridique exclusif dans un État moderne.
Cette logique rappelle un modèle de théocratie implicite, où les textes religieux deviennent les normes suprêmes, reléguant la Constitution à une fonction subalterne. Pourtant, l’article 117 garantit l’indépendance de la magistrature, et aucun juge ne peut fonder sa décision sur ses convictions religieuses [13].
De même, l’article 166 du Code pénal tunisien prévoit des sanctions contre quiconque contraint une autre personne à exercer ou à s’abstenir d’exercer un culte religieux, ce qui inclut implicitement la protection des non-croyants [14].
La justice tunisienne, dans cette affaire, semble avoir failli à sa mission de neutralité et d’équité. En condamnant Mounir Baatour, elle a cautionné les menaces, les fatwas et la violence, au lieu de protéger les libertés individuelles et la dignité humaine.
Ce cas met en lumière l’urgence d’un débat national sur la liberté de conscience, sur l’égalité devant la loi entre croyants et non-croyants, et sur la place de la religion dans les institutions républicaines. La Tunisie ne peut se permettre de reculer sur ces acquis fondamentaux.