En Tunisie, l’article 230 du Code pénal continue de criminaliser les relations homosexuelles entre adultes consentants, violant ainsi les principes d’égalité, de liberté et de respect de la vie privée. Pendant des décennies, cette disposition a servi de fondement juridique à une répression systématique des personnes LGBTQI++, souvent au mépris de leur dignité et de leurs droits fondamentaux.

Cependant, un arrêt rendu le 11 juin 2019 par la Cour de cassation (affaire n°72975) marque un tournant symbolique dans l’approche judiciaire tunisienne. Pour la première fois, un tribunal reconnaît explicitement le statut de victime à un homme homosexuel ayant subi une agression sexuelle, refusant de le criminaliser en vertu de son orientation sexuelle.

Ce commentaire revient en détail sur cette décision singulière, en analysant sa portée juridique, ses limites, et ses implications potentielles pour une réforme nécessaire du droit pénal tunisien. Il met également en lumière les contradictions entre les lois tunisiennes actuelles et les engagements internationaux du pays en matière de droits humains.


1. Présentation de l’affaire et du contexte juridique

Un pas jurisprudentiel vers la dépénalisation de l’homosexualité :
La victime homosexuelle d’une agression sexuelle n’est pas un accusé
Commentaire de l’arrêt de la Cour de cassation : Affaire n° 72975 du 11 juin 2019

Faits d’espèce :

Le plaignant s’est présenté aux agents du poste de police de Tebourba en déclarant avoir été victime d’un attentat à la pudeur de la part d’un homme qu’il avait rencontré sur Facebook.

La nuit de l’événement, l’agresseur s’est rendu à son domicile, où se trouvait la victime, et a eu des relations sexuelles avec lui sans son consentement après l’avoir giflé. Le ministère public a autorisé l’ouverture d’une enquête sur cette affaire.

Le juge d’instruction près le tribunal de première instance de la Manouba a rendu sa décision n° 11422/1 en date du 13 décembre 2017, déclarant qu’il y a suffisamment de preuves et d’indices pour inculper les deux suspects de sodomie et l’agresseur d’attentat à la pudeur sur un homme sans son consentement conformément aux dispositions des articles 228 et 230 du code pénal et les renvoyant devant la chambre d’accusation de la cour d’appel de Tunis pour décider de ce qu’elle juge approprié à leur égard. La Cour a rendu le jugement susmentionné.

Cette décision a été contestée comme étant une erreur dans l’application de la loi en raison de l’absence de l’élément matériel de l’infraction de sodomie et de l’absence de l’élément légal de l’infraction. En se basant sur cet argument, il a demandé que l’affaire soit renvoyée à la Cour constitutionnelle afin d’obtenir un arrêt annulant la décision contestée.

2. Analyse de la décision de la Cour de cassation et portée juridique

Commentaire :

« Considérant qu’il est incontestable que la juridiction de la décision attaquée a reconnu que la situation juridique de l’appelant, qui a subi l’attentat à la pudeur du second accusé, fait de lui une victime, et qu’elle a confirmé que les éléments juridiques de l’infraction prévue à l’article 228 du code pénal sont établis pour le second accusé et qui a été inculpé sur cette base ».

Dans plusieurs jugements précédents, le juge applique l’article 230 du code pénal même lorsque la personne homosexuelle a été victime de viol ou d’agression physique. Ceci parait-il inconcevable en matière de droits humains car la loi ne traite pas les individus sur un pied d’égalité et les discrimine sur la base de l’orientation sexuelle. Parallèlement, le juge utilise un moyen de preuve qui est toutefois considéré comme illégal (examen anal), car il porte atteinte à l’intégrité physique. Par conséquent, la peur des violences policières contraint les victimes au silence, elles ne portent pas plainte. Ipso facto, cela a contribué à banaliser les agressions homophobes et à la non protection des victimes de telles agressions.

En septembre 2015, la police judiciaire avait convoqué « Marwan » pour l’interroger après que des agents avaient trouvé son numéro dans le téléphone d’un homme ayant été tué. D’après l’avocat de Marwan, ce dernier a avoué avoir eu des rapports avec l’homme en question après que des policiers l’ont giflé et menacé de le déshabiller et de le violer, ainsi que de l’inculper de meurtre s’il n’avouait pas. Le 11 septembre, Marwan a fait l’objet d’un examen anal forcé au sein du service médicolégal de l’hôpital Farhat Hached de Sousse, à la demande du Tribunal.

La présente décision objet du commentaire reflète une évolution de la jurisprudence en matière de droits LGBTQI++ en Tunisie. Dans les décisions précédentes, les tribunaux ont ignoré le fait que le suspect qui a commis l’acte criminalisé par l’article 230 se trouve dans une position de « victime ». Au contraire, le juge s’efforce de trouver des indices d’inculpation pour prouver la pratique « habituelle » de la sodomie passive. En effet, la plupart des hommes homosexuels méconnaissent leurs droits et se sentent obligés d’accepter de subir le test. Ils sont souvent intimidés par la police et on leur explique qu’un refus pourrait être utilisé comme une preuve à leur encontre.

Citons l’exemple du jugement rendu le 10 décembre 2015 par le Tribunal de Première Instance (T.P.I.) de Kairouan, dans lequel des jeunes garçons ont été condamnés pour homosexualité masculine au sens de l’article 230 du C.P.

Les expressions qui étaient utilisées dans ce jugement portaient un sens stéréotypé, qui émane d’un répertoire conservateur et religieux selon lequel l’homosexuel est forcément efféminé. Pour appuyer sa qualification, le juge affirme dans le même jugement que des robes ont été trouvées parmi les objets saisis par la police, « prévoyant les actes pervers pour lesquels les accusés se sont réunis ». Cette démarche stéréotypée a fait que lors de l’inculpation pour homosexualité, le pénétré est condamné et non le pénétrant. Donc, le juge condamne la sodomie passive et non pas la sodomie active.

De plus, l’expression mithly (homosexuel) a été employée dans ce jugement, mais sans connotation positive puisque les expressions louti (sodomite) et homosexuel sont utilisées comme synonymes.

Par ailleurs, dans cet arrêt en reconnaissant le statut de « victime » et la nécessité de la protéger et de punir l’agresseur, la cour de cassation rejette implicitement les examens médicaux forcés et dégradants.

Malgré les déclarations de la victime selon lesquelles « il a pratiqué des rapports homosexuels », la cour n’a pas retenu cette déclaration comme preuve de culpabilité, mais lui a reconnu le droit de porter plainte en indiquant que la victime “s’est rendue au poste de la police pour signaler qu’il a été violé”.

Cela diffère de nombreuses décisions antérieures, qui ont ignoré le préjudice causé à la victime qui a subi l’agression. De même, elles ont jugé que la victime violée était accusée d’être une personne habituée à pratiquer l’acte de sodomie passive.

Ainsi, ces décisions ont légitimé des examens anaux forcés dont la mise en œuvre peut être considérée comme une violation de plusieurs droits.

3. Condamnation des examens anaux forcés et rappel du droit international

Tout d’abord, ces tests représentent une atteinte à l’inviolabilité de l’intégrité physique de la personne. De plus, il s’agit d’une forme de torture et de pratiques dégradantes, cruelles et humiliantes.

Lors de l’examen du troisième rapport périodique soumis par la Tunisie en 2016, le Comité des Nations Unies contre la torture a condamné l’utilisation d’examens anaux forcés destinés à trouver des « preuves » contre des personnes accusées d’homosexualité. Il a, en outre, exprimé ses préoccupations que « les personnes soupçonnées d’être homosexuelles sont contraintes de subir un examen anal, ordonné par un juge et réalisé par un médecin légiste, destiné à prouver leur homosexualité ». Le Comité a noté que si les suspects peuvent, en théorie, refuser de subir les examens, nombre d’entre eux acceptent seulement « sous la menace de la police, arguant… que le refus de donner leur consentement serait interprété comme une incrimination ».

Le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants a, également, déclaré que les examens anaux forcés peuvent être assimilés à de la torture ou à un traitement cruel, inhumain ou dégradant : « Les femmes, les filles et les lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres sont particulièrement exposés à la torture et aux mauvais traitements lorsqu’ils sont privés de liberté, que ce soit dans des structures relevant du système de justice pénale ou dans d’autres contextes ».

Ensuite, les examens médicaux forcés sont utilisés pour prouver uniquement l’homosexualité passive.

S’agissant de l’acte de sodomie et plus précisément dans le cas de la sodomie masculine, qui est censée être pratiquée entre deux personnes : l’un joue le rôle d’actif et l’autre joue le rôle du passif, lors de l’inculpation pour homosexualité, le pénétré est condamné et non le pénétrant. Donc, le juge condamne la sodomie passive et non pas la sodomie active.

On déduit alors que l’application de l’article 230 est stéréotypée car seulement l’acteur qui subit l’acte est condamné (discriminé et rabaissé) par la justice alors que cette dernière ne s’intéresse pas à l’homosexuel actif.

Ainsi, en s’éloignant des principes de la neutralité, l’impartialité et l’égalité devant la justice, le juge met en œuvre des concepts préétablis, dictés par la culture dominante et se base sur certaines circonstances pour condamner les personnes soupçonnées d’avoir commis l’acte de sodomie. Par exemple, dans des affaires antérieures, parmi les indices de culpabilité pour sodomie, la police a saisi deux préservatifs non utilisés et un gel lubrifiant. Sachant que les deux objets saisis sont légalement commercialisés par les pharmacies sur tout le territoire du pays, sauf dans le cas où le pharmacien s’assure que la personne qui l’achète n’est pas homosexuelle. Le juge adoptant un répertoire religieux et conservateur justifie la condamnation pour sodomie sur la base de produits pharmaceutiques comme si la prévention des IST et de la santé publique n’est pas prioritaire mais plutôt c’est la préservation des coutumes de la société et des préceptes religieux qui prime sur la protection des individus.

4. Rejet de la criminalisation automatique et portée symbolique de l’arrêt

« En conséquence, l’auteur du pourvoi en cassation a fait sa déclaration en tant que victime et non en tant qu’accusé et n’était donc pas conscient, au moment de son aveu, des conséquences de ses déclarations. »

La reconnaissance par la cour de la qualité du requérant qui a été victime de viol et son refus de le considérer comme accusé, malgré son aveu devant la cour d’avoir commis un acte de sodomie au sens de l’article 230, ouvre la voie à la mise en œuvre par l’État de ses obligations en vertu des traités internationaux relatifs aux droits humains ratifiés par la Tunisie et des lois adoptées après 2014, notamment la loi organique n° 58 de 2017 datée du 11 août 2017 relative à l’élimination de la violence à l’égard des femmes. Ainsi, son article 227 (nouveau) dispose :
« Est considéré viol, tout acte de pénétration sexuelle, quelle que soit sa nature, et le moyen utilisé commis sur une personne de sexe féminin ou masculin sans son consentement. L’auteur du viol est puni de vingt ans d’emprisonnement. »

Or, le juge n’a pas appliqué cette loi malgré le fait que cet arrêt a été rendu en 2019. Il a appliqué l’article 228 du code pénal concernant l’acte de l’attentat à la pudeur, commis sur une personne de l’un ou de l’autre sexe sans son consentement.

En vertu de la nouvelle loi susmentionnée, la victime de la violence ou du viol bénéficie des droits suivants : le bénéfice de l’aide judiciaire, la réparation équitable pour les victimes de la violence en cas d’impossibilité d’exécution sur la personne responsable de l’acte de violence. L’État subroge dans ce cas les victimes dans le recouvrement des montants décaissés, le suivi sanitaire et psychologique, l’accompagnement social approprié et le cas échéant, le bénéfice de la prise en charge publique et associative, y compris l’écoute.

La victime est, aux termes de l’article 218 (paragraphe 2 nouveau) du code pénal :
« un témoin, une personne lésée ou une partie civile, et ce, soit pour l’empêcher de faire sa déposition, de dénoncer l’infraction ou de porter plainte, soit en raison de sa dénonciation, de sa plainte ou de sa déposition. »

5. Une rupture avec la logique punitive à l’égard des victimes LGBTQI++

« La Cour est d’avis que l’accusation de sodomie portée par la chambre d’accusation de la décision attaquée contre le requérant en cassation en exerçant son droit à ester en justice pour demander protection contre l’agression qu’il a subie est contraire aux principes fondamentaux relatifs à la protection des victimes et de leurs droits fondamentaux et à la volonté du législateur de limiter l’impunité des criminels qui violent l’intégrité physique et morale des personnes. »

Il ressort clairement de cette affirmation que la Cour avait plus de courage que les décisions antérieures qui condamnaient pour sodomie un homosexuel victime d’agressions sexuelles et d’intimidations de la part d’agents de police. La Cour a renversé l’avis du tribunal de la décision attaquée, estimant qu’elle était contraire à la politique pénale de l’État et à la volonté du législateur, qui vise à lutter contre l’impunité des criminels. Dans ce contexte, cette affirmation pourrait être un argument implicite en faveur de la dépénalisation de l’homosexualité, et ce en procédant à une révision urgente de la politique pénale.

Contrairement à l’approche antérieure d’un tribunal, qui considérait que la criminalisation de l’homosexualité protégeait la société, même au détriment des libertés, de la dignité et de l’inviolabilité physique et morale des individus. Dans un jugement antérieur, le tribunal a considéré que, malgré le fait que les détenus aient été soumis à des examens anaux forcés, à des violences et à des intimidations de la part des agents de police au moment de la détention :

« Étant donné que les accusés étaient en train de pratiquer la sodomie d’une manière collective, et qu’ils sont venus à cette ville pour y répandre cette obscénité, ayant clairement une intention de répandre leur vice et d’y convertir d’autres personnes, et de se retourner contre les enseignements et les fondements de la société, et contre son identité. »

En effet, selon cette vision, la sodomie met en danger le tissu social et celui de la famille, car elle ne garantit pas la continuité de la race. De ce fait, la non-reproductivité en elle-même disqualifie automatiquement un mâle de son statut d’adulte masculin.

Par la suite, cet acte incriminé par le code pénal est vu comme un acte contre nature et immoral. Il s’agit même d’un acte classifié dans les crimes moraux.

D’autre part, la Cour a mis l’accent sur la protection des victimes et de leurs droits fondamentaux. Cela signifie que le pouvoir judiciaire a consacré les garanties de l’accusé et son droit constitutionnel à un procès équitable au cours des différentes phases des poursuites et du procès, en commençant par l’enquête préliminaire, comme le droit à un avocat, le droit de garder le silence et le droit de ne pas signer le procès-verbal sans la présence d’un avocat.

6. Garanties procédurales et atteintes aux droits fondamentaux dans la pratique

Conformément à l’article 13 bis (nouveau) du code de procédure pénale :
« Lors de la garde à vue, les officiers de police judiciaire doivent informer le suspect dans la langue qu’il comprenne de la mesure prise à son encontre, de sa cause, de sa durée et la possibilité qu’elle soit prolongée conformément à l’alinéa 4 et la lecture de ce que lui garantit la loi, notamment la possibilité de demander d’être soumis à un examen médical et son droit de désigner un avocat pour l’assister. »
Sont nulles, tous les actes contraires aux procédures mentionnées dans le présent article.

Cependant, il arrive souvent que des personnes LGBT soient condamnées par la justice alors que l’accusé ou son avocat a déclaré au juge qu’il avait signé le procès-verbal sous la menace et la violence et qu’il avait été soumis à un examen médical sans son consentement dans le but de trouver des indices qui permettraient de le condamner.

Dans le même ordre d’idées, dans l’arrêt objet du commentaire, la Cour de cassation a reconnu la protection des droits fondamentaux des victimes, y compris la protection de la dignité physique et morale des personnes en interdisant les examens anaux forcés. En outre, l’inviolabilité de la vie privée est garantie par la Constitution et les traités internationaux.

Dans des décisions judiciaires antérieures, le tribunal n’a pas respecté ce droit et a condamné les accusés sur la base de preuves obtenues par les forces de l’ordre, en violation flagrante du principe de la loyauté des preuves en matière pénale, qui signifie que les preuves doivent être obtenues de manière impartiale et ne doivent pas porter atteinte à la vie privée.

Toutefois, en se référant à des affaires antérieures, il a été observé que les juges condamnent des personnes LGBT sur la base de preuves obtenues d’une manière qui ne respecte pas la vie privée des individus, en fouillant des conversations confidentielles et intimes entre les personnes accusées ou en fouillant le contenu de téléphones ou d’ordinateurs personnels pour trouver illégalement des preuves incriminantes.

Dans l’affaire du Tribunal de Première Instance (T.P.I.) de Kairouan du 10 décembre 2015, un des accusés a été condamné à six mois de prison ferme pour attentat à la pudeur, sur la base de l’article 226 du Code pénal. Cette accusation a été retenue en raison de séquences vidéo filmant des rapports sexuels entre hommes trouvées dans son ordinateur.

Il en est de même dans le jugement rendu par le T.P.I. de Sfax le 9 mars 2016, dans lequel l’un des accusés a avoué qu’il allait recevoir 60 dinars en contrepartie d’entretenir des rapports sexuels avec l’autre accusé. Parmi les indices de culpabilité pour sodomie, la police a saisi deux préservatifs non utilisés et un gel lubrifiant.

Dans l’affaire rendue par le T.P.I. de Tunis le 19 juin 2013, des conversations intimes sur Facebook ont été lues par la police et citées dans le texte du jugement.

7. Vers une critique de la constitutionnalité de l’article 230 et une ouverture à la réforme

« Indépendamment de la constitutionnalité ou non de l’article 230 du code pénal, et indépendamment de la demande de l’avocat du requérant de reporter l’examen de l’affaire en attendant la mise en place de la Cour constitutionnelle, ce qui est anticipé, et indépendamment de l’avis de cette Cour sur l’incompatibilité dudit article avec les dispositions de la Constitution tunisienne et les traités internationaux ratifiés par la République tunisienne, qui mettent l’accent sur le respect des libertés individuelles et la protection de la vie privée des personnes. »

« L’incohérence flagrante entre les dispositions de la Constitution tunisienne de 2014 et la consécration des libertés individuelles, et de la protection de l’inviolabilité physique de l’individu et de la pleine égalité devant la loi et dans la loi, et les dispositions de l’article 230 du Code pénal et d’autres articles, qui sont devenues totalement en contradiction avec les principes constitutionnels et les traités internationaux ratifiés dans ce domaine. »

Dans le cadre de la présente affaire, le juge a raté l’occasion de reconnaître l’inconstitutionnalité de l’article 230 et s’est contenté de reconnaître l’incohérence de l’article 230 avec les dispositions susmentionnées. Cette affirmation est différente de l’inconstitutionnalité et ne s’élève pas au même rang juridique que celui qui autorise l’annulation d’une loi en raison de son inconstitutionnalité. Cette affirmation peut autoriser le juge à exclure l’application de l’article 230 parce qu’il constitue une atteinte aux droits et libertés dans certains cas, mais cela ne signifie pas qu’il ne peut pas être appliqué par le juge dans d’autres litiges dans lesquels les accusés sont des homosexuels.

Le juge a également ignoré les traités internationaux relatifs aux droits humains ratifiés par la Tunisie, qui garantissent le principe de non-discrimination sur la base de plusieurs motifs, y compris l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Toutefois, le juge a reconnu que les droits fondamentaux des personnes LGBT doivent être garantis, car l’article en question ne reconnaît pas ces droits s’il était appliqué.

On peut conclure que, bien que le juge n’ait pas reconnu l’inconstitutionnalité de cet article, parce qu’il s’agit de la compétence de la Cour constitutionnelle, qui n’a pas encore été mise en place. Cela pourrait constituer un point de départ pour la reconnaissance des droits des personnes LGBTQI++, d’autant plus que le juge a fait référence à l’inviolabilité corporelle des individus, rejetant par la même occasion les examens anaux forcés. Dans ce cadre, il a mentionné l’égalité devant la loi et dans la loi, ce qui signifie qu’il ne doit pas y avoir de discrimination entre les personnes en termes de droits et de devoirs, et que la loi doit s’appliquer à tous les individus de la même manière.

L’article 230 ne garantit pas cette égalité, car il criminalise les pratiques sexuelles entre adultes consentants du même sexe. Résultat : cet article ne garantit pas l’égalité. En l’appliquant, les autorités font de cette disposition répressive une arme justifiant l’immixtion dans la vie intime des personnes homosexuelles. Ces dernières sont victimes d’une discrimination à triple face : l’homophobie de la société, du juge et des agents de la police.

Le juge, censé garantir les libertés fondamentales et le droit à un procès équitable, ne fait qu’aggraver la situation des personnes LGBTQI++ en Tunisie. Le juge devient une police de mœurs, la bouche de la société et de la religion dominante, et non pas la bouche de la suprématie de la loi. Les personnes LGBTQI++ en Tunisie sont traitées comme des citoyens de second degré et ne bénéficient d’aucune garantie devant les juridictions nationales, ce qui a fait que plusieurs ont fui le pays en demandant l’asile.


L’arrêt rendu par la Cour de cassation tunisienne en juin 2019 constitue un jalon symbolique dans l’évolution de la jurisprudence nationale face aux droits des personnes LGBTQI++. En reconnaissant pour la première fois qu’un homme homosexuel agressé sexuellement peut être considéré comme une victime et non comme un criminel, la haute juridiction brise — timidement mais clairement — une logique judiciaire punitive, discriminatoire et stigmatisante.

Cependant, cette décision ne suffit pas. L’article 230 du Code pénal demeure en vigueur et continue d’alimenter un système de répression institutionnelle, basé sur des stéréotypes, des pratiques dégradantes et des violations systématiques des droits humains les plus fondamentaux. En l’absence de Cour constitutionnelle et de réelle volonté politique de réforme, les avancées demeurent fragiles, isolées et insuffisantes pour garantir une véritable égalité devant la loi.

Ce commentaire illustre combien le droit peut être un instrument d’oppression… mais aussi un levier potentiel de justice, si les magistrats osent s’émanciper des dogmes sociaux et religieux pour incarner l’esprit de la Constitution et les engagements internationaux de la Tunisie.

Ce texte n’a pas pour but de célébrer naïvement une décision isolée, mais de souligner le chemin qu’il reste à parcourir. Il plaide pour une révision profonde du cadre juridique tunisien afin de mettre un terme à la criminalisation des orientations sexuelles et de garantir à chaque citoyen — quelle que soit son identité — l’accès à la justice, à la dignité et à la protection.

L’article 230 est un vestige d’un ordre moral dépassé. Il est temps que la Tunisie le relègue aux archives de son histoire pénale, au nom de l’égalité et des droits humains.

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