Dans une société où l’homosexualité est non seulement stigmatisée mais également criminalisée, comme en Tunisie, les personnes homosexuelles se trouvent souvent piégées entre le besoin de cacher leur orientation et la pression sociale de se conformer aux normes traditionnelles.
C’est dans ce contexte que le mariage blanc entre un homosexuel et une lesbienne devient une solution de façade, leur permettant de bénéficier d’une couverture sociale et d’éviter les soupçons.

Pourtant, il ne faut pas ignorer que certaines lesbiennes peuvent, dans ce cadre, tirer parti de la situation, exploitant parfois la vulnérabilité des hommes gays.
Profitant de la position légale plus favorable, elles peuvent revendiquer des droits, des dédommagements, ou même retourner la situation à leur avantage en niant leur propre homosexualité, laissant l’homme exposé, isolé et menacé socialement et juridiquement.

Cet article explore en profondeur une affaire emblématique qui illustre ces dynamiques complexes, où l’union censée être un simple accord mutuel se transforme en champ de tensions, d’injustices et de manipulations.

Montage d'images représentant différents couples d'hommes et de femmes se tenant par la main et s'embrassant, avec un fond coloré de ballons aux teintes arc-en-ciel et le logo de l'Association Shams.
Annulation d’un mariage blanc entre un homosexuel et une lesbienne

Ce type de mariage blanc, très répandu en Tunisie pour se construire une couverture sociale, peut avoir des conséquences graves pour les homosexuels, d’autant plus que l’homosexualité est criminalisée en Tunisie et que l’institution du mariage en droit tunisien tire ses règles de la législation islamique. Plus important encore, ce mariage est invalide pour plusieurs raisons, que nous avons expliquées dans les documents que nous avons utilisés comme preuve pour l’annulation.

Tout d’abord, le mariage est nul et non avenue parce qu’il s’agit d’un mariage entre un homosexuel et une lesbienne, et que l’homosexualité est criminalisée en droit tunisien. Nous l’avons prouvé par un acte sous – seing privé tel que vérifié par l’huissier de justice.

Nous nous sommes appuyés sur des enregistrements audio d’appels téléphoniques entre l’épouse de l’homosexuel et son amie et entre cette dernière et son amie, qui montrent que le mariage avec l’accusé est un mariage blanc. L’huissier de justice a pu déterminer que le mariage était un mariage blanc grâce aux appels enregistrés. Dhekra et Kais étaient mariés dans le cadre d’un mariage blanc et avaient accepté de se marier uniquement sur la base d’une couverture sociale. Cela suggère que la relation n’est pas sérieuse, puisqu’il n’y a aucune manifestation d’une vie commune entre les deux parties, aucune intention de cohabiter et aucune intention de former une famille.

Deuxièmement, le mariage est nul parce qu’il n’y a pas de devoir de cohabitation, les deux parties ayant déjà convenu de ne pas avoir de relations sexuelles, et la cohabitation est une condition préalable au contrat de mariage.

Il faut rappeler que l’institution du mariage en droit tunisien est fortement influencée par le droit islamique. En l’absence d’une définition législative du mariage, les juristes et la jurisprudence considèrent le mariage comme un contrat par lequel un homme et une femme vivent sous le même toit pour se rencontrer affectivement et sexuellement afin de se reproduire, et l’on peut dire que cette définition est conforme aux principes de la loi islamique. Il est incontestable que le contrat de mariage est fondé sur les rapports sexuels et que lorsque les conditions requises ne sont pas remplies, ce contrat doit être dissous par des moyens légaux. Bien entendu, un mariage blanc entre une lesbienne et un homosexuel ne remplit pas les conditions de cette définition, puisque les rapports sexuels sont une condition préalable.

Ceci a été réaffirmé par la jurisprudence qui a considéré que les rapports sexuels se présentent comme un élément fondamental de la vie conjugale. Cette dernière est basée sur la volonté commune des deux époux de se reproduire et de former une famille. Et ce conformément à l’article 23 du code de statut personnel qui souligne le fait que les deux époux doivent remplir leurs devoirs conjugaux conformément aux usages et à la coutume. Ainsi, les rapports sexuels font partie des devoirs naturels communément reconnus.

Le tribunal aurait dû faire droit à la demande de se soumettre à un examen médical pour constater par des experts qu’il n’y a pas d’empêchement à la vie conjugale normale entre les parties, car l’existence d’un tel empêchement constitue une cause de divorce pour préjudice, puisqu’il empêche la poursuite de la vie conjugale normale comme l’exigent les dispositions de l’article 23 précité.

Toutefois, ce préjudice n’est pas indemnisable s’il est prouvé que cette incapacité est survenue après le mariage ou que l’épouse l’ignorait, comme c’est le cas pour l’hystérectomie, car indépendamment du fait que l’épouse l’ait connue ou non, cette question causerait un préjudice au mari puisqu’elle le prive de son droit à la paternité, qu’il est tenu d’exercer pour éviter la perte des droits parentaux de son épouse.

Dans un arrêt civil en cassation, la cour a considéré que la capacité sexuelle est l’une des conditions fondamentales du contrat de mariage. Elle constitue ainsi une des conditions physiologiques fondamentales sur laquelle se base la vie conjugale. Il s’agit en effet d’un élément naturel et incontournable de la vie conjugale.

Ceci a été prouvé à travers le document attesté par l’huissier notaire selon lequel le propriétaire du café a découvert en regardant les caméras de surveillance que Dhekra l’épouse de Kais était dans un état d’intimité avec sa petite amie. Il a aussi été informé que le mariage entre Kais et Dhekra était un mariage blanc et que les trois vivaient dans le même appartement.

Ces déclarations attestent que le mariage est blanc et qu’on peut l’annuler puisque chacune des deux parties vit isolé et les deux ne partagent aucune vie commune qui vise d’entretenir des rapports sexuels.

Ce qui confirme l’absence d’une intention de cohabitation est le fait que Dhekra est en relation amoureuse avec sa copine et que toutes les deux pratiquent ensemble le lesbianisme d’une façon permanente. Simultanément, Kais est au courant de cette relation et il ne s’est pas opposé à condition qu’il n’y ait pas de rapport sexuel entre lui et Dhekra. Conséquemment, toutes ces conditions suffisent pour déclarer le mariage nul au sens de l’article 21 du code de statut personnel.

En droit tunisien, est frappée de nullité, l’union qui comporte une clause contraire à l’essence même du mariage ou qui est conclue en contravention des dispositions du code de statut personnel qui posent les conditions fondamentales du contrat de mariage. Dès lors, le refus de cohabitation ou l’absence de rapports sexuels entre les deux époux sont contraires à l’essence même du mariage. Les deux parties Kais et Dhekra se sont déjà mis d’accord qu’il n’y aura pas de rapports sexuels entre eux. Donc, le mariage est nul.

Or, le tribunal a rejeté l’annulation du mariage en considérant que l’union a été conclue en vertu d’un acte authentique (contrat de mariage) revêtu de la force exécutoire et rédigé par un officier public. A l’opposé de l’acte sous seing privé qui n’a pas la même force probante car il n’est pas rédigé par un officier public.

Il s’en suit que les actes sous seing privés comme la preuve testimoniale que nous avons présentés n’avaient pas de force probante pour le juge par rapport au contrat de mariage. Ceci en se basant sur l’article 474 du code des obligations et des contrats qui dispose : « il n’est reçu entre les parties aucune preuve par témoins contre et outre le contenu des actes ».

Le juge a également considéré que la consommation du mariage est bien établie puisque le mariage a été conclu conformément aux conditions posées par la loi, autrement dit, il a été conclu sur la base d’un acte authentique revêtu de la force exécutoire jusqu’à inscription de faux. Par conséquent, dans ce cas, il aurait été possible d’annuler le mariage blanc s’il était conclu par un acte sous seing privé. Cependant, le mariage blanc conclu conformément à un acte authentique ne peut être annulé.

En général, le mariage blanc entre un gay et une lesbienne pour la couverture sociale est d’ores et déjà voué à l’échec. Parmi les répercussions négatives sur les homosexuels est que l’épouse peut à tout moment nier son homosexualité et poursuivre en justice l’époux gay pour réclamer des dommages-intérêts sous prétexte qu’il n’a pas respecté ses devoirs conjugaux dont avoir des rapports sexuels.

C’est ce qui s’est réellement passé suite à notre demande d’annulation du mariage. Dhekra a intenté une action en divorce pour dommage sur la base que la consommation du mariage ne s’est pas réalisée. Ce qui se contredit avec les preuves que nous avons présentées au juge attestant qu’elle était d’accord que le mariage avec Kais était blanc et sans rapports sexuels.

Même si Dhekra a eu gain de cause pour réparation des dommages matériaux et moraux, elle n’a pas exécuté le jugement puisqu’elle était persuadée que le mariage est bel et bien blanc et qu’elle n’a pas subi de dommage du fait qu’elle est lesbienne.

Tribunal de première instance de l’Ariana, affaire n°34857 du 3 mai 2017

Les faits d’espèce :

La requérante a affirmé qu’elle ne savait pas que son mari était homosexuel. Elle a aussi ajouté qu’il a eu des rapports sexuels ave elle comme tout couple marié à maintes reprises et qu’elle n’est plus vierge. Elle a également nié le fait qu’elle a eu des rapports sexuels avec des femmes.

Quant au défendeur, il a avoué qu’il est homosexuel et qu’il n’a jamais eu de rapports sexuels avec son épouse. Il a souligné le fait que lui et son épouse se sont mis d’accord que leur mariage n’était qu’un mariage blanc en ajoutant qu’elle en a approuvé parce qu’elle lui a avoué avant le mariage qu’elle préfère avoir des rapports intimes avec des femmes et non pas avec des hommes.

Quant à la requérante, elle demandé à la justice de se soumettre à un examen médical pour s’assurer qu’elle n’est pas vierge pour prouver que son époux a eu des rapports naturels avec elle. Egalement, elle souhaité que son mari soit soumis à un examen médical, or, le défendeur l’a refusé tout en reconnaissant qu’il est homosexuel et qu’il n’a jamais eu de rapports sexuels avec lui pour qu’elle ne soit pas vierge.

L’avocat du défendeur a précisé que son client est homosexuel mais qu’il n’a jamais pratiqué l’homosexualité passive. Il a aussi ajouté que la requérante a fait des déclarations contradictoires car elle affirme qu’il est homosexuel mais au même temps elle souligne qu’il a eu des rapports sexuels avec elle. Ceci est impossible car les homosexuels n’ont aucune envie envers les femmes. Ce qui est évident dans cette affaire est que les deux parties sont homosexuelles et elles ont conclu un contrat de mariage blanc pour couverture sociale.

Concernant le dommage subi à cause de l’homosexualité de l’époux, l’aveu est la reine des preuves. Le défendeur a déjà avoué qu’il est homosexuel et qu’il n’a jamais eu de rapports sexuels avec elle puisqu’ils se sont mis d’accord que le mariage était blanc.

Considérant que l’aveu du défendeur constitue en soi un manquement flagrant quant aux devoirs conjugaux qui lui incombe en vertu de la religion et de la loi dès que le contrat de mariage est conclu et plus particulièrement le devoir de cohabitation. Malgré son aveu basé sur le fait que son épouse savait qu’il était homosexuel et que le mariage était blanc, ceci n’empêche qu’il soit fautif et qu’il lui a causé un préjudice.

Considérant qu’il est établi par la doctrine, la loi et la réalité que le rapport sexuel entre les deux époux demeure un des éléments fondamentaux du mariage sans aucun empêchement volontaire ou physique. Car l’objectif principal du mariage est la procréation.

Dans ce cadre, la cour de cassation a jugé dans un de ses arrêts que : « l’époux qui s’abstient pendant des mois d’avoir des rapports sexuels avec son épouse et d’assouvir ses désirs à cause de son homosexualité ainsi que l’absence du désir de la pénétrer d’une façon naturelle entraine un préjudice pour la femme ».

Considérant que le défendeur est homosexuel et ce sur la base de son aveu et le refus d’avoir des rapports sexuels avec elle constitue pour la requérante un préjudice direct.

Conformément à l’article 31 du code de statut personnel, le tribunal prononce le divorce à la demande de l’un des époux en raison du préjudice qu’il a subi.

Commentaire :

Parmi les conséquences désastreuses pour l’homosexuel est le non- respect de la vie privée. La vie intime de l’homosexuel peut être violée surtout dans le cas où un différend surgit entre les deux époux. Dans ce cas, l’homosexuel sera obligé de dévoiler son orientation sexuelle alors que la sexualité fait partie de la sphère privée de la vie d’un individu. Egalement, il sera forcé d’étaler les détails de sa vie intime et de sa vie sexuelle comme c’était le cas dans cette affaire. Pire encore, l’épouse lesbienne a nié le fait qu’elle soit homosexuelle et a essayé avec toutes les preuves d’établir son homosexualité devant le juge afin qu’elle obtienne des réparations pour le soi disant préjudice corporel et moral qu’elle a subi. De même, le juge a rejeté l’argument selon lequel le mariage était blanc et a donné raison à l’épouse sur la base du contrat de mariage qui constitue une preuve contraignante puisqu’il s’agit d’un acte authentique.

Ce mariage constitue aussi une menace à la vie professionnelle de l’homosexuel du fait que l’épouse peut lui faire un chantage en dévoilant son homosexualité auprès de ses collègues sachant que l’homosexualité en Tunisie est un tabou et qu’elle est aussi sanctionnée par la société. Ceci peut avoir un effet dévastateur sur la santé psychique et mental de l’homosexuel qui non seulement va être discriminé, stigmatisé rejeté mais aussi il va devenir dans une dépendance financière dans le cas où il perd son travail.

Parmi les solutions au mariage blanc est l’établissement d’un acte sous seing privé signé par les deux parties dans lequel elles reconnaissent que le mariage est blanc dans le but d’une couverture social afin de faire plaisir à la famille et à leur entourage.

De cette manière, en cas de litige, cet acte peut être annulé facilement car il n’a pas la même force probante qu’un acte authentique signé par un officier public.

Une dernière solution pour avoir des enfants dans le cadre d’un mariage blanc pour couverture social, les deux parties peuvent opter pour la procréation médicalement assistée (PMA) et ce en vertu de la loi n°93-2001 du 7 août 2001.

Enfin, ce type de mariage pour couverture sociale est très répandu en Tunisie. Or, les effets secondaires sont plus nombreux que les bénéfices. En effet, l’homosexuel est le grand perdant car la lesbienne peut nier le fait même qu’elle soit homosexuelle et qu’elle souhaite avoir des dédommagements pour le dommage subi en prétendant devant le juge qu’elle ne savait pas que son mari était homosexuel et qu’il n’a pas eu de rapports sexuels avec elle.

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